Des prix justes pour le respect du vivant
Petite rétrospective personnelle d’une militante
Mon expérience s’est construite avec le développement du « porc Thierry Schweitzer », inspiré de modèles suisses de labels ‘bien-être’. Au début de la démarche (et du millénaire) j’ai même fait des animations en grande surface pour promouvoir ces produits. Tout militant ne peut pas se vanter d’avoir ainsi affronté en direct la question des ventes. Ceci pour bien démontrer l’implication de la société civile. Ce sont en effet les associations qui ont fait la notoriété de cette filière naissante, qui aurait pu devenir le premier label structuré « bien-être animal » de France, si sa publicité ne s’était pas banalisée.
De mon côté, l’espoir que quelques individus de bonne volonté dans la grande distribution puissent faire émerger davantage de bien-être animal a été peu conforté. Il y a certes des produits intéressants qui travaillent l’ « image », mais pour le gros des volumes la méthode commerciale décourage les ambitions et empêche l’émergence d’une agriculture à visage humain. Toutefois, entretemps, l' »étiquette bien-être animal », une démarche privée, est née et montre la voie. Le Planet Score va aussi dans la bonne direction.
A l’occasion des Rencontres Animal et Société organisées par le Ministère de l’Agriculture en 2008, j’ai pu contribuer au nom de France Nature Environnement avec une brochure « Elever les animaux : une culture du respect ». Quelques souvenirs de ces Rencontres : une DGAL très crispée par la peur des revendications de bien-être animal (quelque chose qui lui était totalement étranger) ; une pléthore de rapports qui n’ont servi à rien ; la règle du ‘consensus’ validant tous les vétos des mondes agricoles et de la chasse. Seul résultat positif : la mission pour l’INRA de rédiger un ouvrage sur la douleur des animaux d’élevage, pour un éventuel progrès futur qui mettra plus de 10 ans à émerger très lentement.
J’ai toujours été attentive à la question économique. En effet, comme le disent les agriculteurs : « On peut tout faire, s’il y a un prix derrière ». Avec Alsace Nature, nous avons publié en 2012, et longtemps diffusé, le tract « Des prix justes pour le respect du vivant ». L’idée n’a pas percé, c’est le moins qu’on puisse dire.
A l’attention de la Région Alsace j’avais rédigé en 2012 « Des Initiatives Locales pour Valoriser la Protection de la Nature et le Bien-Etre des Animaux : Respect en Plus». Cette approche a conduit à quatre petites plaquettes :
- Respect en plus : Bien-être animal
- Respect en plus : Lait
- Respect en Plus : Porcs
- Respect en Plus : Poules
Ce PLUS de respect y est toujours présenté comme étant triple : Equité et plus-value pour le producteur, plus de bien-être animal et plus de biodiversité. En somme, tout cela serait parfaitement faisable…. à condition de partager une sensibilité et une volonté politique pour mettre en place des filières particulièrement vertueuses de manière concertée entre acteurs et cohérente. Ce qui, on s’en doute, est loin d’être le cas. De telles tentatives n’ont pas été soutenues, sauf dans une certaine mesure l’agriculture biologique. La PAC finance l’agriculture des gros tracteurs et autres agrofournisseurs, et les Agences de l’Eau ont le droit de financer les prairies, ce qui revient à leur faire faire du social pour que les élevages de bovins ne crèvent pas totalement parce qu’on ne peut quand même pas laisser arriver cela (merci l’environnement). Il n’y a, pour le moment, pas de construction transversale, décloisonnée, de filières vertueuses et cohérentes, englobant toutes les catégories d’animaux et dépassant les zonages restreints ; toutefois, l’évolution pourrait aller dans ce sens. Ainsi l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse a fait réaliser une étude pour la production de boeuf à l’herbe bio dans les Ardennes.
Les grands objectifs politiques ont toujours été la compétitivité et la performance fût-elle environnementale, et les objectifs du conseil agricole sont la réduction des coûts de production et la qualité sanitaire. Mon vécu du passé est que la demande de bien-être animal s’est toujours heurtée à un NON vigoureux (et viril), sauf à affirmer que de toute façon les éleveurs se préoccupent du bien-être animal pour des raisons de productivité. « Il n’y aura pas d’éthologie dans les Chambres d’agriculture » . Pourquoi tant de refus ? Ma recherche pour comprendre a donné « L’empathie racontée au monde de l’élevage ».
Les temps changent quand même, l’opinion publique remue, l’Europe finance de la recherche sur le bien-être animal, l’Allemagne bouge sur la question, l’observation des animaux est promue. Toutes les filières mettent en place des logiciels d’évaluation du bien-être animal. Ces logiciels permettent des démarches de progrès. Toutefois, ils sont calibrés de manière à ce que l’élevage conventionnel, industriel, puisse obtenir des notes non pas excellentes mais suffisantes, quitte à corriger utilement quelques gros défauts (morbidités et lésions) tout en restant dans le même système. Alors que, pour être honnête et parler vrai, ces systèmes sont par essence incompatibles avec le bien-être des animaux. Il y a même des chercheurs de l’INRAE qui l’écrivent*.
Vouloir obtenir des ‘prix justes’ pour un modèle de production non respectueux du vivant est contradictoire par essence ; le cynisme engendre le cynisme. Il faudra bien, un jour, prendre l’éthique au sérieux. Les prix justes pour le respect du vivant sont le rêve d’un monde meilleur.
Mais pour les agriculteurs il faut d’abord de meilleurs prix, et ensuite, avec moins de soucis économiques, on pourra envisager des changements de pratiques. Cela peut se comprendre ; il faut supporter des risques. Toutefois, il vaut mieux relier les deux an amont pour s’assurer du résultat (et être assuré). Cela s’appelle ‘rémunérer un service’, et le bien-être animal en est un.
Pourquoi est-ce si compliqué ? Parce que la société est pourrie par les profiteurs, avec la tentation d’augmenter les volumes (ce serait à l’Europe de développer les marchés à l’export mais aussi à payer en cas de surproduction et de crise !), l’attrait du « aussi mauvais que permis », l’exploitation de tous les trous dans la raquette, les réglementations et cahiers des charges truffés de dérogations, les non-conformités, tricheries et tromperies, la distorsion de concurrence partout, les pratiques commerciales insoutenables, des tentatives de contrôler tout cela, les déceptions et découragements, sans oublier les aléas climatiques et sanitaires… Quant à l’EUROPE, ce sont les Etats membres qui décident en dernier lieu et pas la Commission européenne ; les règles communes sont toujours négociées au prix de flexibilités, et la France s’est distinguée par son freinage en matière de progrès environnemental, social et de protection animale. Mais ne rien tenter reste la plus mauvaise des solutions.
Un dernier mot. J’ai été très impliquée dans les oppositions aux élevages industriels. Mais les conflits autour des élevages qui s’installent ne relèvent pas forcément du noir contre blanc. Je veux dire que l’agriculteur n’est pas forcément le méchant et le riverain le gentil. Cela peut être l’inverse. Il me reste un souvenir marquant : j’ai assisté à une réunion publique organisée contre un projet d’élevage de poules pondeuses en plein air dans un champs de maïs. Dans une salle remontée, au milieu des huées (qui me semblaient méchantes) envers une famille d’agriculteurs consciencieux et sympathiques, j’ai été la seule à défendre le projet, avec le représentant de la Chambre d’agriculture. Mon expérience est que plus un projet est modeste et qualitatif pour les animaux et l’environnement, plus il est fragile face à une opposition ‘mal inspirée’ (dans une inquiétude légitime mais parfois disproportionnée). Les vrais gros projets de production de masse disposent de soutiens puissants…
*Améliorer le bien-être des animaux d’élevage : est-ce toujours possible ? par Christine Leterrier, Geneviève Aubin-Houzelstein, Alain Boissy, Véronique Deiss, Valérie Fillon, Frédéric Lévy, Elodie Merlot (INRAE) et Odile Petit (CNRS), Sesame, 28 juin 2022